Miroirs : pourquoi les recouvre-t-on en cas de décès ?

Un appartement silencieux, des gestes précis, et soudain tous les miroirs disparaissent sous un drap. À chaque décès, le même rituel se répète dans certaines familles : recouvrir les miroirs, sans délai, comme si un simple reflet pouvait troubler la mémoire du disparu. Cette pratique, ancrée dans l’intimité des maisons, ne se limite ni à la superstition ni à un automatisme vide de sens.

Le fait de voiler les miroirs ne se fait jamais au hasard. Selon le contexte religieux, culturel ou même social, la démarche se décline avec ses propres règles. On les suit parfois à la lettre, parfois on les adapte. Cette coutume, loin d’être partagée par tous, garde pourtant sa force et interroge : que cherche-t-on à préserver ou à éviter en dissimulant son reflet au moment du deuil ?

Un miroir voilé : une tradition qui interroge autour du deuil

Dans la tradition juive, la disparition d’un proche déclenche une série de gestes codifiés. L’un d’eux : recouvrir les miroirs, geste transmis de génération en génération. Ce n’est pas un détail décoratif, mais un acte fort qui suspend le cours ordinaire des choses. Pendant la période de shiva, les miroirs se cachent sous un drap sombre. Le Talmud évoque la coutume, sans en expliquer la raison, mais elle a traversé les siècles, du quartier du Marais à Paris jusqu’aux petites villes de province.

Qu’est-ce que ce voilement signifie réellement ? Les explications varient. Certains avancent que voir son reflet détourne de la mémoire du disparu : impossible alors de s’égarer dans la contemplation de soi quand la priorité doit rester au recueillement et au souvenir. D’autres interprètent le miroir comme une faille vers l’invisible, une « porte » à refermer pour protéger la maison d’éventuelles énergies errantes. Le deuil, dans ces conditions, réclame un espace à part, une rupture temporaire avec le quotidien.

Ce geste dépasse le cadre religieux. Recouvrir les miroirs pendant un décès s’inscrit dans la mosaïque des rituels funéraires, reflet des liens qu’une société entretient avec la mort, le corps, la mémoire. Dans certains foyers, le drap posé sur le miroir matérialise la frontière entre deux mondes : celui des vivants, celui du disparu.

Voici quelques fonctions concrètes attribuées à ce rituel :

  • Créer un temps de recueillement et de respect
  • Structurer la période de deuil
  • Transmettre une mémoire familiale et communautaire

Pourquoi recouvre-t-on les miroirs lors d’un décès ? Entre croyances et symboles

Recouvrir les miroirs à la suite d’un décès : ce n’est pas un geste automatique. C’est une façon de donner corps à l’absence. Le miroir fascine, inquiète, parce qu’il ouvre sur l’invisible, parce qu’il donne une place au double, à la frontière instable entre la vie et la mort.

Dans de nombreuses cultures, la surface réfléchissante est perçue comme un seuil fragile : le familier bascule dans l’étrange. Face à la perte d’un proche, l’ordre des choses s’effondre, et le miroir, en captant ce vide, devient le théâtre de toutes les projections.

Pour certains, le miroir capte une part de l’âme du défunt, qui pourrait rester prisonnière du reflet. D’autres insistent sur la nécessité de s’effacer, de ne pas se regarder, de ne pas céder à la vanité au moment d’honorer la mémoire du disparu. Pendant le deuil, on suspend les habitudes, on laisse de côté le regard sur soi.

Ce geste peut avoir différentes valeurs concrètes :

  • Mettre à distance les influences inquiétantes
  • Montrer du respect au corps de la personne décédée
  • Signaler que le temps du deuil n’est pas celui du quotidien

Dans certains foyers, le miroir recouvert rappelle discrètement la perte, pousse à tourner l’attention vers les vivants, et permet au passé de s’effacer, au moins pour un temps.

Des pratiques qui varient selon les cultures et les religions

La coutume de recouvrir les miroirs lors d’un décès n’a rien d’universel. Dans le judaïsme, elle s’intègre à un ensemble de gestes précis, transmis de génération en génération. Dès que la nouvelle tombe, les miroirs disparaissent sous un tissu, signalant l’entrée dans le temps du shiva. Pendant sept jours, la famille s’extrait des préoccupations habituelles. La prière du kaddish rythme les journées, et le miroir reste caché. L’idée : faire place nette, ne pas se laisser distraire, honorer le souvenir sans détour.

En France, ce rituel persiste dans les quartiers où la communauté juive est bien implantée. Les entreprises de pompes funèbres connaissent ces usages, adaptent leur accompagnement, respectent la sensibilité des familles. Hors de ce cadre, la pratique reste rare. Dans d’autres religions, c’est la veille funèbre, la récitation de prières, ou la simple présence autour du corps qui priment, le miroir, lui, n’a pas la même portée symbolique.

Chaque tradition a ses propres gestes, ses propres silences. Le miroir voilé occupe une place singulière dans l’enterrement juif : il incarne la séparation entre deux univers, il rappelle que le deuil est un cheminement, avec ses étapes, ses passages, ses transmissions.

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Au-delà du geste : quel impact sur le vécu du deuil pour les proches ?

Le fait de recouvrir les miroirs ne se réduit pas à un simple rite. Ce geste façonne la période du deuil, influence la manière dont on traverse la perte. En détournant le regard de leur propre image, les proches se confrontent à l’absence, mais aussi à un nouveau rapport à l’espace familial.

Des témoignages recueillis à Paris révèlent des ressentis contrastés. Pour certains, ce rituel apaise : il permet à la tristesse de s’exprimer sans filtre, il met à distance la tentation de masquer sa peine derrière l’apparence. D’autres y voient une façon de maintenir la présence du défunt dans la mémoire collective, d’éviter que le quotidien ne reprenne trop vite le dessus. Le miroir recouvert devient alors un vecteur silencieux de transmission, un rappel discret du respect dû à la personne disparue.

Voici deux façons concrètes dont ce rituel façonne l’expérience du deuil :

  • Certains y trouvent un espace pour accueillir la tristesse, loin de toute superficialité.
  • D’autres y voient une manière d’éviter de « chercher » un signe dans le reflet, une tentative de contact avec le disparu, que la psychanalyse considère avec prudence.

La date anniversaire du décès, la récitation des prières, la place de chaque membre dans la famille : tous ces détails se mêlent au rituel du miroir, qui n’est plus un simple objet, mais un témoin muet de la recomposition des liens et du cheminement du deuil. Recouvrir un miroir, c’est parfois ouvrir une parenthèse, refuser l’évidence, et peut-être, pour quelques jours, accepter de vivre sans reflet.

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